=> [S] 1.05 (25/6) Le Bal




Aller de la Grand' Place à l'appartement de Bella n'avait rien de compliqué. Il était encore tôt dans la soirée, mais la descente de Raphael, que personne n'aurait aimé monter à vélo, avait un peu raccourci les festivités. Désinhibé et maladroit, il s'était transformé en catastrophe ambulante. Et la victime de cette descente, c'était Bella... ou plutôt sa robe, qui en était devenue indécente.

Marchant tranquillement dans les couloirs du niveau 3, il ne faisait aucun doute qu'ils parviendraient bientôt chez Bella...
Mais les poches de Raphael contenaient des chocolats qui étaient en train de fondre. Et notre homme lui-même n'était pas encore dégrisé.

Il avançait en tête, en faisant quelques pirouettes ridicules, tout en chantant (étonnamment juste au vu de son alcoolémie!) une chanson espagnole... langue qu'il ne maitrisait pas du tout, ce qui donnait un résultat assez étrange.

- BESAMEEEEEE... BESAME MUUUUCHOOOOOO!!!

Bella aurait sans doute voulu se planquer, là, mais elle n'avait que la veste de Raphael pour le faire, et celle-ci occupait déjà un poste clef sur le devant de la robe...
Ils croisèrent un ou deux retardataires, sans plus.

Il dénoua sa cravate, la mis en boule et la fourra dans sa poche... toute collante. Il ressortit sa main. Les doigts étaient tout collants eux aussi, tâchés de chocolat fondu. Il regarda le spectacle avec des yeux ronds.

- C'est bizarre, je suis pourtant venu sans chocolats... et je ne mets jamais de chocolat dans mes poches...

Il regarda Bella. Décidément, il était en train de lui ruiner la soirée. Il se lécha les doigts.

- Oh, tiens, y'en avait un à l'orange!

Ouais, à ce rythme, ils n'étaient pas arrivés chez elle...

- Haha... j'ai mon pantalon assorti à ta robe!

Raph n'avait aucune idée de ce que voulait dire la chanson... il savait seulement qu'il l'avait souvent entendue étant enfant. Il était pour ainsi dire dans un état second, complètement libéré par l'alcool et il pouvait faire n'importe quoi... c'était ça les gens comme lui. Il buvait rarement, mais il le faisait, c'était à ses risques et périls...
Sa logique interne avait quelques ratés. Il gardait cette sorte de candeur d'enfant. Du chocolat dans ses poches? Bah pas grave! En plus ça avait le même goût que le jus d'orange!

Annabella dut prendre les commandes pour de bon... si elle voulait arriver à bon port, elle avait intérêt à ne pas se laisser distraire par les divagations de son ami...

Et elle se planta soudainement devant lui. Elle lui parla presque comme à un gosse. Il ne répondit rien, il ne trouvait rien à répondre. Il avait bien quelques équations de physique quantique en tête, mais il avait comme l'impression qu'elle s'en foutait pas mal, de la physique quantique... surtout MAINTENANT.

Leurs visages étaient si proches. Il en bafouilla presque... mais comme il ne disait pas grand chose, ceci passa inaperçu.
Il lui sourit. Il avait envie de la prendre dans ses bras. Elle venait de lui dire "je ne te laisserai pas tomber" et ça devait être une des plus belles choses qu'on lui ait jamais dite, alors forcément, ça le touchait. Il était plus sensible et émotionnel qu'il ne le paraissait.

Il se laissa faire, et ils tournèrent à gauche pour aller chez lui. Il ne faisait que marcher en silence. Alors Annabella faisait un peu la conversation toute seule. Sa carte magnétique dans la poche de sa veste, elle s'en occupa. Un jour, il avait oublié sa carte magnétique à l'intérieur de son appartement, et alors il s'était retrouvé enfermé dehors, et comme il était ce qu'il était, celui lui était arrivé au moins une fois par mois durant sa première année ici.

Il avait un immense post-it sur la porte (côté intérieur) disant "PRENDS TA CARTE TÊTE DE LINOTTE!"
Il s'accouda au mur et regarda Bella manipuler la carte.

- T'as la carte, tu peux ouvrir.

Il voulut desserrer sa cravate mais il se souvint qu'il l'avait déjà enlevée... et mise dans la poche pleine de chocolats. Il soupira... Il se rendit compte à ce moment là qu'il était un peu parti.

Alors que Bella ouvrait la porte, un de leurs voisins passa, sur son 31, un peu pressé. Il regarda ce qu'il prit pour un couple, et il leva les deux pouces en direction de Raphael, accompagné d'un clin d’œil.
Par pur réflexe, Raphael leva aussi les pouces... pfff quel idiot!

Il rentra chez lui et ferma la porte. Il regarda son salon.

- Tiens c'est marrant mais ton appart' ressemble au mien... (il se souvint qu'ils n'étaient pas chez elle alors il ajouta, pour se rattraper!) ... ce qui est normal vu que c'est mon appart'...

Il se dirigea directement vers la salle de bain. Il avait furieusement besoin de fraicheur. Sur le passage, il abandonna sa chemise. Il ouvrit le robinet et s'aspergea le visage abondamment, pour se réveiller. Il retira ses chaussures à l'arrache (il ne portait que des vieilles allstars, jaunes la plupart du temps, mais noires pour les occasions spéciales comme ce soir.) Il retira aussi son pantalon et le mit dans le lavabo pour essayer de retirer le chocolat, mais froid, ça allait durcir et bonjour pour tout récupérer... il mit de l'eau chaude et du savon, et laissa le tout comme c'était, il aviserait plus tard... c'était déjà un miracle qu'il ait pensé à ça...

Il retrouva le salon vêtu en tout et pour tout d'un caleçon décorés de petits ordinateurs (un vrai caleçon de geek) et de chaussettes rayées multicolores. Il fit un signe à Bella.

- Heuuuu fais comme chez toi j'en ai pour deux secondes... ce qui ajoutées au reste avoisine les deux minutes trente, peut-être...

il se rendit dans sa chambre, et prit le premier jean qui passa ainsi qu'un t-shirt rouge vif avec un symbole PI dessus. Un vrai t-shirt de nerd. Il revint dans le salon quelques secondes plus tard... fin prêt pour chausser ses converses jaunes et partir pour la chambre de Bella. Il s'assit sur l'accoudoir du canapé et fit ses lacets.

- Hummm.. dis... j'ai cru m'entendre chanter, tout à l'heure... Rha putain, j'ai l'impression d'être speed et anesthésié en même temps...

Ce qu'il était un peu, quelque part...

Nous entrâmes dans son appart'. Raph se dirigea vers sa salle de bain. Je pris place sur le canapé en l'attendant. J'écoutais avec attention ce qui se passait dans la salle de bain, au cas où il tomberait, se cognerait ou un truc de ce genre. J'entendis couler de l'eau. Il sortit de sa salle de bain et traversa le salon, en caleçon. Je ne m'imaginais pas que je le trouverais si... comment dire... attirant, dans cette tenue. Il avait une silhouette qui méritait d'être mise en valeur, ce qui n'était pas le cas avec les habitudes vestimentaires "va-comme-je-te-pousse" de Raphaël... Et c'était bien dommage. Il avait un beau torse! Il devrait mettre des chemises cintrées au lieu de ses t-shirts larges. Il y avait des petits dessins sur son caleçon. ça me faisait sourire! Mais, gênée, j'avais détourné le regard et n'avait pas vu ce qu'était ces dessins. Il me dit qu'il en avait pour deux minutes. Il disparu et réapparu presque aussitôt vêtu d'un jean et d'un t-shirt dont le motif devant représentait le signe de PI. C'était du pur Raph! J'avais l'impression de le retrouver, ou presque...

" Oui, tu chantais "bessame mucho"... Tu connais l'espagnol? "
*petit rire*
" Si tu te rends compte de l'état dans lequel tu es, c'est que l'effet est en train de s'atténuer. On va manger quelque chose et se faire un thé. Tu te sentiras mieux après. Et puis, ensuite, on pourrait peut-être danser un peu en restant chez moi. ça te dit? "

Il avait fini de nouer ses lacets. Il avait l'air prêt à sortir. Je me levais donc du canapé et m'approchais de la porte à reculons, parce que je ne quittais pas Raph des yeux.
" Si tu es prêt, on y va?... J'ai hâte de me changer aussi. Du coup, je pense que je vais mettre la robe que j'aurais mise si j'avais su que tu serais à cette soirée. Et comme ça, tu me diras ce que tu en penses, d'accord? "
Je posais la main sur sa poignée de porte, attendant qu'il se lève et me rejoigne.

Besame Mucho, c'était donc ça...

- Je ne connais rien à l'espagnol... ma mère était fan de Cesaria Evoria. J'ai préféré apprendre d'autres trucs que l'espagnol. Enfin bref.

Il s'était essayé à plusieurs langues, pourvoir, par curiosité. Des langues que presque personne ne parlait aux USA, parce que sinon c'était pas drôle. Aussi avait-il choisi de voir un peu à quoi ressemblaient le finnois, le tchèque et l'islandais. C'était rigolo mais un poil inutile dans ses études. D'ailleurs ce n'étaient pas les langues qui le passionnaient le plus, même s'il trouvait ça intéressant. C'était bête qu'il ne comprenne pas vraiment l'espagnol. Il aurait sans doute réfléchi à deux fois avant de chanter "embrasse-moi..." Enfin, les airs connus n'engageaient à rien.

Il se sentait mieux il était vrai, mais cette sensation désagréable d'être un peu en dehors de lui-même.... il n'aimait pas trop ça. Il avait déjà l'impression d'être un alien échoué sur une planète étrange, si en plus il devenait étranger à lui-même...
Bella lui proposa un thé, à manger et une danse.

- Je veux bien, oui.

Il termina de lacer sa chaussure gauche, et ils furent prêts à partir. Bella fut la première arrivée à la porte, toujours avec la veste de Raph devant elle. Quel maladroit il était!

Ils quittèrent l'appartement et Raphael claqua la porte derrière lui....

- NOOOOON!

Trop tard!!! La carte que bella avait utilisée était posé sur la table du salon (du moins ce qui s'en apparentait.) Elle ne l'avait pas remise dans la poche.

- Je suis enfermé dehors... encore une fois.

Il passait pour l'idiot du village auprès de la maintenance qui avait envisagé de laisser sa porte perpétuellement déverrouillée...

- Bon, on verra plus tard... je te suis.

Plus que ça à faire, de toute manière! Rhalala... dire qu'il avait son post-it... il avait vraiment la tête ailleurs! Ses pensées allaient du chocolat à l'orange à la robe de Bella à Bella elle-même, à ces tâches dans l’œil, à ce baiser... et à la physique quantique, ainsi que la théorie des cordes, et la tristesse de ne pas avoir pu vérifier les théories grâce au LHC de Berne... tant de promesses parties en fumée...
Mais entre deux équations, il pensait encore à cet étrange baiser qu'il lui avait donné il ne savait même pas pourquoi.

Il mit les mains dans les poches et suivit Bella jusque chez elle. Ils croisèrent le même type de tout à l'heure, courant vers son appartement.
"J'ai oublié un truc!"
Raph haussa les épaules, cela lui était bien égal.

Vu qu'il trainait un peu, il courut sur quelques pas pour rattraper Bella, qui se disait certainement qu'il n'était incorrigible, pas sortable, à l'ouest et tout le toutim.
Il lui sortit un grand sourire, comme si ça allait compenser la chute et le jus d'orange... ha, s'il avait remarqué qu'elle s'était un peu rincée l’œil quand il avait traversé son salon, il effacerait peut-être ce sourire.
... ou pas.

Il ne parlait pas l'espagnol... ça ne voulait pas forcément dire qu'il ne savait pas de quoi ça parlait, après tout!
" Mais tu sais de quoi parle cette chanson?... puisque ta mère était fan, elle a du t'en parler, non? "
Du coup, puisqu'il avait oublié qu'il avait chanté, se souvenait-il m'avoir embrassée?

Il était d'accord pour la danse apparemment! Au moins, je ne serais pas allée à ce bal pour rien. Je danserai quand même avec Raph. Peut-être que quand il se sentira mieux, il m'embrassera à nouveau... sans que ce soit la faute de l'alcool!

Puis il cria "non" tout d'un coup. Qu'est-ce qui lui arrivait? Ah! Sa carte, je ne l'avais pas lâchée depuis qu'on était entré chez lui. Je savais bien que si je ne la prenais pas, il l'oublierait! Devais-je lui dire que je l'avais ou devais filouter et garder cette info pour moi? J'hésitais... Je ne voulais pas qu'en l'apprenant plus tard, il pense que j'ai cherché à abuser de son état de faiblesse temporaire pour le coincer chez moi. Ce ne serait pas correct après l'attention qu'il m'avait porté la semaine dernière. Je ne pouvais que faire de même pour lui. Je n'avais pas envie de lui cacher des choses. Ce n'était pas honnête et ça ne me ressemblait pas. Et puis, je ne pensais pas avoir besoin d'une quelconque excuse pour le garder auprès de moi...
" Relax! Je savais que tu n'y penserais pas. Je l'ai reprise en me relevant du canapé, tu ne m'as pas vu faire? "
Décidément, il était encore plus à côté de la plaque que de coutume. L'alcool avait un fameux effet sur lui! C'était bon à savoir!

Petit à petit, il avait l'air de retrouver ses esprits, mais pas encore assez pour être vraiment lui-même. On arrivait devant la porte de chez moi et il continuait à marcher! Je l'attrapais donc par le bras et le rapprochais de moi.
" Tu vas où là, dis-moi? On ne va plus chez moi?! " demandais-je en me moquant gentiment de lui.
" Allez, viens! Tu n'auras pas volé ce thé! Tu en as besoin! " ajoutais-je en lui souriant.

Je sortis alors ma carte magnétique de ma pochette, et ouvris ma porte.

La suite dans mon appart'... "une soirée en tête à tête"

Il roula des yeux... il ne sut pas pourquoi, elle avait l'air d'insister sur la chanson. Ce n'était qu'une chanson qu'il avait beaucoup écouté dans son enfance parce que sa mère passait ce genre de chansons régulièrement. C'était tout. Et qu'il sache ou non ce que ça voulait dire, ça n'entrait pas en ligne de compte, il l'aimait bien, c'était tout.

- Non mais je sais de quoi ça cause grosso modo, hein... Je vois juste pas le rapport.

Rapport avec quoi, d'ailleurs?
Il n'eut pas le temps d'y réfléchir, vu qu'il eut affreusement peur d'être de nouveau enfermé dehors! Il n'avait pas suivi le cheminement de la carte et il croyait l'avoir oubliée sur la table... Mais après quelques instants, Bella le rassura en lui disant qu'elle ne l'avait pas lâchée.

- Ouf! Pfiouuu qu'est-ce que je ferais sans toi!

Sur le moment c'était on ne pouvait plus sincère... de toute manière, généralement, c'était sincère. Mais ne faisait jamais ce trajet dans sa petite tête.
En fait, sans elle, il serait peut-être moins catastrophique... dans le sens où il ne serait pas là comme un idiot, après avoir taché sa robe et foutu un pantalon en l'air avec du chocolat... Mais ce n'était pas la faute de Bella... non, c'était son fonctionnement, et quand il était un brin éméché, c'était comme s'il avait bu l'intégralité d'une bouteille de vodka... Il ne tenait pas l'alcool, ça partait vite en live....

Mais si on pouvait divaguer en étant bourré, ne pouvait-on pas aussi dévoiler des choses enfouies, ou dont on ne réalisait pas encore la portée? Pas de fumée sans feu, comme on dit.

Il cessa de faire l'andouille et suivit Annabella, qui sortit sa carte une fois arrivés devant chez elle. Elle ouvrit la porte... Et il entra à son tour.
C'était comme la semaine passée. Il y avait sans doute encore plein de sachets de thé dans la boite du placard dans le coin, là-bas...


[oui, voilà, la suite chez elle...]